Un salarié est il propriétaire de son compte Twitter ?
Jérôme Giusti : Juridiquement non. Pas plus que son employeur, d’ailleurs. Un compte Twitter appartient à Twitter, comme le stipule, peut-être un peu confusément, l’article 7 des conditions générales d’utilisation du service : « Tout droit, titre et intérêt dans les Services (à l’exclusion des Contenus communiqués par les utilisateurs) sont et restent la propriété exclusive de Twitter ». La lecture des conditions générales Twitter nous fournit un autre enseignement : le contenu d’un tweet appartient à l’utilisateur du compte à partir duquel il a été posté. Cet utilisateur est généralement le salarié lui-même, à moins que son compte n’ait été créé par son employeur, qui l’a alors mis à disposition de son personnel. Utilisateur (et non propriétaire) de son compte mais bel et bien propriétaire de son tweet, le salarié peut-il toutefois considérer que cette propriété s’impose à son employeur ? Est-il ainsi en droit d’en faire ce que bon lui semble et notamment, de conserver son compte et les contenus qui s’y rattachent après son départ de l’entreprise ? Dans le cas où le compte a été créé par l’employeur mais que le tweet a pourtant été écrit par le salarié, celui-ci appartient-il pour autant à l’employeur ? La question, ainsi posée, n’appelle aucune réponse tranchée et, on le voit, les conditions générales d’utilisation Twitter qui attribue la propriété du tweet à son utilisateur sont de faible secours quand il s’agit de savoir qui, de l’employeur ou du salarié, est propriétaire de quoi sur Twitter ?
Et pourtant la question se pose bel et bien en pratique ?
Jérôme Giusti : En pratique et en droit. Il existe un procès en cours aux Etats-Unis justement sur cette question. Noah Kravitz a été employé par la société PhoneDog pendant cinq ans et a démissionné en octobre 2010. Son employeur lui a alors demandé de renoncer à son compte Twitter, @PhoneDog–Noah, qui comptait à l’époque 17000 followers. Le salarié a refusé, se contentant de renommer son compte @noahkravitz tout en conservant ses followers. Le salarié travaille depuis pour un concurrent de PhoneDog. Son ancien employeur a saisi la justice américaine et lui réclame 340000 USD à titre de dommages et intérêts. Cette somme correspondrait, selon PhoneDog, à la perte des 17000 followers de Noah Kravtiz que la société considère en fait comme des consommateurs potentiels de ses produits. Juridiquement parlant, la société PhoneDog estime être le véritable propriétaire du compte Twitter car elle aurait été à l’origine de la création de ce compte et prétend en outre que cette propriété serait justifiée par les coûts et les ressources qu’elle a investis pour augmenter le nombre de followers et la connaissance générale de ses services au travers de ce média. La justice américaine n’a pas encore tranché et je ne connais pas en France d’affaires judiciaires similaires. A suivre…
Y a-t-il des différences entre certaines professions ?
Jérôme Giusti : Dans l’absolu, non. Comme vous l’aurez compris, il ne s’agit pas en fait d’un problème lié à un droit de propriété que le salarié pourrait opposer à son employeur et vice versa mais d’une question de responsabilité du salarié vis-à-vis de son employeur, ancien ou actuel. Tout est donc affaire de circonstances. Le salarié utilise-t-il son compte Twitter, après son départ, de façon loyale vis-à-vis de son employeur ? S’efforce-t-il de distinguer clairement, alors qu’il est toujours en poste, un tweet émis à titre privé ou à titre professionnel ? Le devoir de réserve et de loyauté envers son employeur est un principe souvent rappelé par les tribunaux français. Ainsi, le 19 novembre 2010, le Conseil de Prud’hommes de Boulogne a rappelé que « le salarié qui invite à se moquer de son supérieur et à lui rendre la vie impossible sur Facebook peut être légalement licencié ». De même que le Tribunal de Grande Instance de Béthune a confirmé, le 14 décembre 2010, que « les propos dénigrants écrits sur un blog, peuvent engager la responsabilité de l’ancien salarié tenu d’un clause de confidentialité ou, plus généralement, d’une obligation de loyauté envers son ancien employeur ». Toutefois, en pratique, vous avez raison, la profession de journaliste mais plus généralement, de toute personne travaillant pour un média, est un peu à part. Fortement exposés par leur métier ou du fait de leur appartenance à une entreprise notoirement connue, ces salariés doivent redoubler de prudence. Un exemple nous a été récemment fourni par la publication d’un billet portant sur l’ancien couple présidentiel. Le billet, rédigé par un employé de la société Newsweb, chargée de gérer le site du JDD.fr, a été posté sur le blog personnel de celui-ci, hébergé sur la plateforme du Journal du dimanche. Ce billet a été repris dès le lendemain par la presse, notamment internationale, laquelle a présenté cette rumeur comme une information en provenance du site du JDD. Ce raccourci, volontaire ou non, a transformé de facto ce qui n’était qu’une rumeur en une information fiable, émanant d’un titre reconnu. Le JDD a retiré le billet du blog sans délai, licencié le salarié à l’origine du billet, pris acte de la démission de son responsable hiérarchique et porté plainte. En effet, le salarié peut, à travers un tweet, non seulement porter atteinte aux intérêts de son employeur mais également engager la responsabilité de celui-ci vis-à-vis des tiers. La jurisprudence considère que l’employeur ne peut s’exonérer de cette responsabilité qu’à la condition de prouver que la faute commise par le salarié était intentionnelle ou en démontrant que le salarié a excédé les limites de la mission qui lui a été confiée, commettant ainsi une faute dans l’exécution de son contrat de travail.
Quelles précautions prendre lorsqu’on est salarié et que l’on ouvre un compte Twitter ?
Jérôme Giusti : La première des précautions est de distinguer clairement entre son compte professionnel et son compte personnel. Un compte professionnel est un compte affilié à une entreprise dont le but principal est la promotion et la diffusion des produits, contenus ou services proposés par cette entreprise. Par conséquent, le salarié chargé de cette promotion via Twitter le fait en tant qu’employé de cette entreprise et non à titre personnel. Il est donc tenu à une certaine retenue et loyauté dans ses propos afin d’éviter d’engager sa propre responsabilité par rapport à son employeur mais également la responsabilité de son employeur vis-à-vis des tiers. A contrario, si un salarié souhaite conserver indépendance et liberté de parole, il créera un compte personnel où il s’abstiendra de faire mention de son appartenance à la société qui l’emploie. Mais ne versons pas dans l’angélisme. J’ai bien conscience qu’il s’agit parfois d’un jeu de cache-cache entre employeur et salarié : un salarié peut vouloir utiliser la notoriété de son entreprise à des fins toutes personnelles et un employeur profiter du dynamisme et de la verve d’un salarié pour bénéficier d’une campagne de relations publique et de communication, à moindre frais. Attention toutefois que ce jeu ne se transforme pas en jeu de dupes ! Certains partenaires sociaux décident d’ailleurs d’adopter un code très clair à ce sujet. La convention collective applicable dans les établissements de La Croix-Rouge édicte, par exemple, les précautions à prendre en matière de tweets et de réseaux sociaux : « Dans le cadre de l’usage de messagerie instantanée à titre privé ou de la participation à des forums, blogs, groupes de discussions ou à des réseaux sociaux à titre privé, l’utilisateur aura recours obligatoirement à une adresse de messagerie privée. Il veillera à ce que le contenu des messages ne permette aucune confusion laissant à penser qu’il s’exprime au nom de la Croix-Rouge française ou que le message est rédigé dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. En particulier, il n’utilisera pas les emblèmes et logos de la Croix-Rouge française. »
Que faire avec son compte en cas de départ de l’entreprise ?
Jérôme Giusti : Rien s’il s’agit d’un compte personnel. S’il s’agit d’un compte professionnel, on pourrait raisonner par analogie : généralement, un salarié qui quitte ses fonctions est tenu de restituer le matériel mis à sa disposition par son employeur pour l’exercice de ses fonctions (ordinateurs, portables, voiture de fonction, etc …). Un compte Twitter devrait répondre à la même logique et le salarié le fermer à son départ. Si toutefois le salarié a des raisons légitimes pour le conserver, rien ne l’empêche toutefois de plaider sa cause devant son employeur et de trouver les éléments convaincants et persuasifs qui justifieraient son maintien. On peut alors là tout imaginer et je compte sur vos lecteurs pour déployer des trésors d’imagination et me le faire savoir sur @GiustiJ, mon nouveau compte twitter.
Interview de Jérôme GIUSTI, publié par VIUZ