On le sait, la propriété des contenus n’est pas la valeur que l’on échange sur les réseaux sociaux. Ce qui a une valeur, c’est l’usage que l’on en fait. Je m’explique. Instagram et Vine n’ont que faire d’être propriétaires des contenus photos et vidéos de leurs utilisateurs. Et de fait, aucun des deux ne le revendique.Leurs conditions générales d’utilisation stipulent expressément que les utilisateurs restent propriétaires des contenus. Est-ce que cela signifie pour autant que Vine et Instagram ne disposent pas de droits sur ces contenus ? Non, bien au contraire, ils en « possèdent » beaucoup.
Mais alors, de quels droits s’agit-il ? Tout simplement du droit d’utiliser ces contenus, dans le cadre d’une licence globale sinon totale, certes non exclusive, mais bien illimitée, gratuite et mondiale. Vine et Instagram ont également la faculté de sous-licencier ces contenus, c’est-à-dire de permettre à quiconque d’en faire le même usage. Avec des nuances, selon chacun. J’invite vos lecteurs à lire attentivement l’article « Rights » dans les « Terms » d’Instagram, ou l’article « 5. Your rights » dans les « Terms » de Vine. Vine se voit ainsi attribuer, dans le détail, le droit de reproduire, adapter, modifier, éditer, transmettre et diffuser les contenus de ces utilisateurs dans tous médias et par tous modes de distribution ; donc, si je comprends bien, au-delà du réseau social qu’il exploite … Instagram précise également qu’il pourra placer de la publicité en relation avec les contenus des utilisateurs, sans que ceux-ci soient prévenus … et ce n’est plus dit, sans que les utilisateurs perçoivent une rémunération ou compensation financière en contrepartie. Vine le dit, quant à lui, expressément. L’article d’Instagram semble avoir en effet été quelque peu édulcoré depuis la fronde des utilisateurs, en décembre 2012, qui s’étaient émus des changements introduits dans les conditions générales d’Instagram, suite à son rachat par Facebook. Ces modifications prévoyaient « qu’une entreprise ou toute autre entité puisse nous (Instragram) payer pour afficher votre nom et profil d’utilisateur, vos photos (…) en lien avec des contenus payants ou sponsorisés, sans que cela vous donne droit à une compensation », d’après un article publié dans ZDnet le 19 décembre 2012. Toujours d’après ZDnet, Instagram aurait alors invoqué, pour se défendre, une formulation maladroite et confuse. Il n’aurait eu, selon lui, aucune intention de vendre les photos des utilisateurs et promettait de revoir la rédaction de la formulation ainsi décriée. Instagram rappelait à cette occasion que « les utilisateurs d’Instagram sont propriétaires de leur contenu et Instagram ne revendique aucun droit sur vos photos » … Est-ce bien le cas ?
Mais au bout du compte, est-ce légal ? En tant que propriétaires de leurs contenus, c’est-à-dire titulaires des droits de propriété intellectuelle sur leurs photos et vidéos, les utilisateurs de Vine et Instagram peuvent souverainement décider de s’en déposséder, à titre gratuit et de façon très étendue. C’est leur droit de propriétaire le plus strict : celui qui détient peut vendre et louer son bien à sa guise, l’abandonner ou le détruire. Avec toutefois une réserve … à la condition que son consentement soit libre et éclairé. Est- ce que le consentement des utilisateurs est libre ? Je m’interroge. Puisqu’ils ne sont pas en mesure de négocier avec Vine et Instagram les conditions et modalités de leur contribution, lesquelles leur sont imposées par des conditions générales types, qu’ils ne peuvent ni discuter ni modifier, sont-ils vraiment libres dans leur consentement ? Vous me direz, ils demeurent toujours libres d’utiliser ou non ces services. Oui, bien sûr mais leur consentement est-il alors suffisamment éclairé ? Vos questions sont peut-être l’illustration que les gens ne savent pas … Je constate d’ailleurs qu’en parcourant les sites de Vine et Instagram, leurs conditions générales d’utilisation ne sont pas traduites en français, alors que ces réseaux sociaux sont aujourd’hui majoritairement utilisés par des Français. Vous me direz que tout le monde parle anglais de nos jours. Pas sûr et les mineurs qui utilisent ces services, puisque, selon les conditions générales d’Instagram, l’on peut utiliser ces services à partir de 13 ans, à cet âge, balbutient à peine dans la langue anglaise. En droit français, un mineur n’est d’ailleurs pas juridiquement capable de contracter avant 18 ans, sauf pour des opérations banales de la vie courante. Est-ce que concéder ses droits d’auteur de façon aussi illimitée et globale serait considéré par un juge français comme un acte de la vie courante ? La question mérite d’être posée. Elle s’étend d’ailleurs à toute personne, même majeure, qui serait considérée comme un consommateur face aux services, mêmes gratuits, proposés par Vine et Instagram. Le droit français de la consommation oblige le commerçant à fournir des conditions d’utilisation claires et non équivoques et donc, par définition, dans une langue que le client comprend. Au-delà de la question de l’emploi de la langue anglaise, est-ce que la formule suivante est compréhensible pour un utilisateur français ? « Instagram does not claim ownership of any Content that you post on or through the Service. Instead, you hereby grant to Instagram a non-exclusive, fully paid and royaltee-free, transferable, sub-licensable, worldwilde license to use the Content that you post on or through the Service, subject the Service’s Privacy Policy, including but not limited to sections 3 (“Sharing of Your Information”), 4(“How We Store Your Information) and 5 (“Your Choices About Your Information”)”. La formule chez Vine est-elle plus claire ?“You retain your rights to any Content you submit, post or display on or through the Services. In order to make the Services available to you and other users, Vine needs a license from you. By submitting, posting or displaying Content on or through the Services, you grant us worldwilde, non-exclusive, royalty-free license (with the right to sublicense) to use, copy, reproduce, process, adapt, modify, publish, transmit, display and distribute such Content in any and all media or distribution methods (now known or later developed)”.
Et du point de vue de la législation sur le droit d’auteur ? Le droit d’auteur français comporte une même exigence de clarté et de prévision, dans un souci de protection de l’auteur. Pour qu’une cession ou une licence avec un auteur soit valable, encore faut-il légalement que le contrat prévoit distinctement et avec une grande précision, l’étendue, le territoire, la durée et la destination des droits ainsi consentis. Je ne suis pas certain que les clauses précitées répondent à cette exigence légale en termes de clarté et de prévision, notamment quant à l’étendue et la destination des droits cédés. Aucune ne semble par ailleurs prévoir de durée. Il existe par ailleurs, en droit français, un droit moral de l’auteur qui le fonde à s’opposer à toute modification, dénaturation et transformation de ses œuvres. La clause qui autorise Vine à modifier et adapter les contenus de ses utilisateurs peut ainsi poser problème en droit français et c’est bien notre droit français qui s’applique à des Français en France. La clause qui soumet tout différend entre Vine et Instagram et les utilisateurs au droit californien et aux juridictions californiennes, ou encore à toute instance arbitrale américaine, me semble également devoir être interrogée.
Et donc … ? Moi-même utilisateur de beaucoup de ces nouveaux services, j’ai souvent l’impression de vivre dans une société en bêta-test permanent quant aux nouveaux outils que nous utilisons tous et toujours plus. Vine, Instagram et bien d’autres testent sans cesse de nouveaux modèles et marchés … Toutefois, est-ce que cela signifie que nous devrions toujours, parce que c’est plus simple, moins contraignant et que sais-je encore, faire abstraction des problématiques juridiques qui fâchent … Le Droit est là pour consacrer le contrat social que nous voulons établir entre nous, un contrat librement négocié entre tous. Quel est le contrat social et économique passé entre Vine ou Instagram et leurs utilisateurs ? Il y a certes une logique sociale et économique à ce que profitant de services toujours plus nombreux et gratuits, l’on concède en contrepartie une gratuité. Mais pourquoi ne faut-il pas que cela soit clairement dit et énoncé, compris et accepté ? Un bon contrat doit être un contrat équilibré. Pourquoi ne faudrait-il pas s’interroger sur le point d’équilibre, social et économique, au-delà duquel il serait déséquilibré, pour un internaute, de céder sans contrepartie ses contenus ? Ces contenus qui constituent certes un nouveau moyen d’échanger entre nous mais aussi un fonds de commerce pour d’autres ?
Interviewé réalisée par Viuz, 19/11/13