Comment j’ai rencontré la blockchain …
Il y a quelques mois, des clients viennent me voir et me proposent de réfléchir avec eux à un nouveau concept de vente d’œuvres d’art en ligne. Leur projet est de commercialiser non pas des œuvres entières mais des œuvres sous la forme de parts cessibles, la propriété de l’œuvre étant ainsi partagée entre plusieurs voire de multiples copropriétaires. D’un point de vue de pure technique juridique, il s’agissait là d’organiser une indivision conventionnelle. Toutefois, en droit et à peine de nullité, la convention d’indivision doit être établie par écrit comportant la désignation des biens indivis et l’indication des quotes-parts appartenant à chaque indivisaire. Cela nécessitait, dans le cas d’espèce qui m’était soumis, qu’à l’entrée de tout nouvel acquéreur d’une quote-part de l’œuvre, une nouvelle convention fût signée entre les nouveaux indivisaires, les anciens et le nouvel entrant, cette convention ayant notamment pour objet de fixer l’identité des parties au contrat, ainsi que la nouvelle répartition des quotes-parts entre elles. Ce formalisme juridique déplût quelque peu à mes clients qui espéraient que le pauvre juriste que je suis fasse preuve de nouveauté ! En pratique, la réédition et la signature de conventions d’indivision, en chaîne et à chaque nouvelle entrée et sortie d’un indivisaire, nuisait à l’agilité du dispositif et autant à son efficacité qu’à son adoption par le plus grand nombre. Encore une fois, le droit était vécu comme un frein à l’innovation.
C’est alors que nous est apparue la blockchain : pouvait-elle être une autre manière de répondre au formalisme exigé par la loi ? Imaginons un instant que les ventes de quotes-parts se réalisent sur la blockchain à travers des « smart contracts » et que la blockchain réponde tout à la fois aux besoins de la transaction financière mais également aux nécessités de la conclusion, de la preuve et de l’exécution de ces conventions d’indivision que jusqu’à présent, nous n’avions imaginé « signer » que dans un monde physique. Eureka ! Avions-nous trouvé la pierre philosophale d’un nouveau droit contractuel, celle qui transforme le formalisme papier en formalisme animé par la machine ? Et si la machine libérait le droit … et les hommes ? Soyons sérieux et peut-être fous à la fois …
Qu’est-ce que la blockchain ?
A ce stade, je sais, j’en ai perdu plus d’un. Recommençons. Pour les nuls, je vous conseille de regarder une courte vidéo « Comprendre la blockchain en 5 min » avec Antoine Yeretzian de Blockchain France, qui la présentait lors de la conférence Big Bang Blockchain, organisée le 14 janvier 2016 à Paris. Pour faire à peu près simple et donc forcément réducteur, la blockchain est une base de données distribuée, sans intermédiaire, qui permet le stockage et la transmission d’informations, ainsi que la passation, l’enregistrement et la certification de transactions notamment financières.Ses avantages revendiqués sont la publicité, la sécurité, l’immuabilité et la fiabilité. Autrement dit, tout utilisateur peut prendre connaissance des transactions exécutées sur la blockchain, lesquelles, grâce à un protocole chiffré puissant, sont inaltérables et enregistrées de façon durable et fiable.
Connue surtout pour avoir permis le déploiement de l’économie du Bitcoin, la blockchain semble aujourd’hui induire de nouvelles applications prometteuses comme en atteste le développement récent du projet Ethereum, dont la promesse est d’exécuter sur la blockchain toutes types de transaction, via des « smarts contracts ».
La blockchain crée, pour les juristes et les usagers de droit, des opportunités jusqu’ici insoupçonnées. J’ai choisi de m’y intéresser par le petit bout de ma lorgnette : celui d’un avocat, fieffé civiliste qui ne jure que par le contrat, cet outil fondamental des rapports humains qui fait que nous nous entendons et construisons des choses ensemble, avant-tout de la confiance entre nous. Ce n’est pas pour rien que j’ai cofondé, il y a quelques années, le cabinet 11.100.34. Avocats Associés, dont le nom est tiré de l’article 1134 du Code civil, lequel consacre la liberté de contracter et la bonne foi dans les contrats. Ce qui me passionne dans la blockchain, c’est la promesse qu’il puisse être possible de réinventer, ensemble et de façon collaborative, ce qui fait contrat entre les hommes, et société.
Des « smart contracts » aux contrats intelligents …
Un « smart contract » est un protocole informatique, écrit dans un langage assez simple, qui permet d’exécuter automatiquement une transaction sur la blockchain, répondant à des fonctions préprogrammées. Le droit n’aurait rien à voir avec cela si le juriste, toujours à l’affût de transformer en droit toute activité humaine – que le peuple des codeurs me pardonne – n’avait pas décidé de s’y intéresser, voire s’en passionner. Aux yeux du juriste donc, ces smart contracts, que l’on a vite fait de présenter au juriste comme des faux amis, ressemblent pourtant furieusement, ce me semble, à des contrats , certes, je le concède bien volontiers, un peu particuliers et bien étranges …
Le glissement sémantique est en effet facile. D’ailleurs, comme l’explique François Polrot, dans son article « Smart contract » ou le contrat auto-exécutant, publié sur le site Ethereum France, il s’agit, ni plus ni moins, de programmer simplement des « contrats » intelligents, car « lorsque les conditions d’exécution des engagements ainsi programmés sont réunies, les smart contracts s’exécutent automatiquement sur la blockchain, en prenant en compte l’ensemble des conditions et des limitations qui avaient été programmés dans le contrat à l’origine ». Autrement dit, il serait aujourd’hui possible de créer, via la blockchain, des obligations préalablement définies dans un code informatique et de les faire exécuter par la machine. Prenons l’exemple simple d’un paiement qui doit s’exécuter en contrepartie d’une prestation. Pour que celui-ci se réalise via la blockchain, il faudra coder dans un smart contrat les conditions de réalisation de cette transaction. Cette transaction sera automatiquement exécutée par la machine, dès lors que les conditions ainsi programmées auront été réalisées. L’on peut toutefois imaginer des smart contracts bien plus élaborés.Prenons un autre exemple, présenté par Xavier Lavayssière, brillant legaltech, lors d’un meet-up qui s’est tenu à Paris le 16 mai 2016 et dont l’objet était une rencontre entre juristes sur les smart contracts : un artiste de musique veut lancer une campagne de financement de son prochain album de musique sur la blockchain ; il pourra programmer un smart contrat dans lequel il définira le budget de sa campagne, la durée de celle-ci, le montant des contributions acceptées, la fréquence des paiements et toutes autres modalités requises pour la bonne exécution des transactions souhaitées. Ce smart contract sera adressé aux parties concernées sur la blockchain. Lorsque ces dernières l’auront validé, il s’auto-exécutera automatiquement.
Ainsi présentés, les smart contracts interrogent ceux qui s’intéressent à la chose contractuelle. Le code ferait-il office de loi ? Permettrait-il de réinventer les conditions matérielles et techniques, sinon juridiques, de l’établissement des contrats et de leur exécution ? François Polrot y voit une limite : « en pratique, il sera impossible, sauf à l’avoir prévu dès le départ, de modifier un contrat enregistré dans la blockchain », ce qui supposerait d’être particulièrement vigilant dans la phase de conception des smart contracts. Dans son article Blockchain, smart contracts et propriété intellectuelle, Thibault Verbiest, avocat, soulève plusieurs autres questions juridiques: les smart contracts sont-ils des contrats au sens juridique du terme ou plutôt une modalité technique d’exécution de ceux-ci ? Comment identifier les parties à un smart contrat ? Que valent-ils sur le terrain de la preuve ? Comment un juge les accueillera-t-il ? Autant de questions qui méritent un petit examen prospectif …
Est-ce que les smart contracts valent contrat au sens juridique du terme ?
Distinguons deux situations. La blockchain pourrait tout d’abord répondre à un premier besoin : enregistrer et certifier des contrats conclus, dans la vie physique, hors blockchain. Je ne parle pas ici des smart contracts mais des contrats traditionnellement « écrits à la main » ou plus exactement aujourd’hui, avec l’aide d’un logiciel de traitement de texte. Les parties pourraient ainsi avoir recours aux formidables possibilités qu’offre la blockchain en matière de certification décentralisée et de registre public, sécurisé, immuable et fiable, pour notamment, conserver la preuve d’un contrat, lui conférer une date certaine, en authentifier l’existence et les parties. Recourir ainsi à la blockchain pourrait notamment palier les problèmes liés à la preuve d’un contrat passé, la possible perte ou détérioration de ses exemplaires physiques ou numériques, ainsi que résoudre certaines contestations relatives à l’existence et la conclusion de l’accord. Cette situation pourrait ainsi répondre à des vrais besoins non couverts aujourd’hui par des solutions classiques ou par son faible coût, offrir aux cocontractants une solution alternative aux moyens traditionnels de signature électronique ou de registre dématérialisé. Comprenons-nous bien. Ce n’est pas le contrat, dans sa version papier ou numérique, qui serait « blockchainé » mais son empreinte. Cette situation nécessite qu’un lien logique soit établi entre la transaction ainsi réalisée sur la blockchain et le fichier source, c’est-à-dire le fichier numérique qui contient le contrat rédigé, nécessairement conservé hors blockchain.
La blockchain pourrait répondre à un autre besoin, plus disruptif … Celui de permettre la génération de contrats qui s’auto-exécutent automatiquement. Deux cas peuvent se rencontrer, au choix des parties. Traduire, en premier lieu, un accord passé dans le monde physique et en langage littéral dans la blockchain et en langage informatique. Bref, utiliser en quelque sorte le smart contract comme une modalité d’exécution d’un accord passé « à l’ancienne », par oral ou par écrit. Cette traduction dans la blockchain présenterait notamment comme atout, outre les avantages de la preuve préalablement décrite, de permettre l’exécution automatique de certaines clauses de l’accord, ou l’accord dans son entier. L’application automatique d’un contrat pourrait notamment résoudre les problèmes d’exécution contractuelle qui alimente traditionnellement un contentieux important. Dans une seconde approche et de façon plus radicale, il s’agirait alors de programmer un contrat directement dans la blockchain via un smart contract, ex nihilo et sans contrat dans le monde physique, avec les avantages énumérés précédemment.
Comme on le voit, la blockchain pourrait ainsi permettre, alternativement ou tout à la fois, de garantir la preuve d’un contrat, en permettre l’exécution et possiblement, la conclusion. Intéressons-nous ici à la situation la plus radicale : est-il possible de conclure valablement un contrat, directement sur la blockchain et en dehors de tout contrat dans le domaine physique ?
Les smarts contracts sont-ils des contrats valablement formés en droit ?
Procédons par exclusion. La loi exige que soient réunies, pour que certains contrats existent juridiquement, des conditions de fond et de forme. Ainsi, le contrat solennel nécessite généralement un écrit et parfois, des clauses obligatoires, à peine de preuve ou de nullité. Le contrat authentique est celui qui se conclut devant une autorité, généralement un notaire. A défaut d’être passés devant notaire, certains contrats ne pourront pas être conclus sur la blockchain comme par exemple, les contrats de vente d’un immeuble ou les contrats de mariage. A moins que les notaires adoptent la blockchain … Quant aux contrats solennels comme par exemple, un contrat de cession des droits d’un auteur, il faudrait que le smart contract soit considéré comme un écrit, au sens juridique du terme et comporter certaines mentions obligatoires comme par exemple, l’étendue et la finalité de la cession, le territoire et la durée concédés. Si l’on peut imaginer en théorie que le protocole puisse en effet traduire ces mentions en formule algorithmique, est ce que le smart contract pourrait néanmoins être assimilé à un écrit juridique ? Nous verrons que la réponse semble être affirmative. Pour les autres contrats, ceux dits consensuels, lesquels sont formés par la simple rencontre des volontés, ils pourraient en revanche tout à fait se prêter, justement par leur manque de formalisme, à la rédaction de smart contrats. Or, en pratique, les contrats consensuels sont les plus nombreux, ce qui ouvre donc le champ des possibles.
La rencontre des volontés, laquelle suffit donc à faire contrat dans de très nombreuses situations, se matérialise généralement par une offre de contracter émise par une partie et par l’acceptation de cette offre par une autre partie. Une offre doit comprendre les éléments essentiels du contrat envisagé et exprimer la volonté de son auteur d’être lié juridiquement, en cas d’acceptation. Elle peut être caduque à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable. Elle doit être par ailleurs suffisamment précise, claire et compréhensible afin de pouvoir être acceptée. La loi reconnaît enfin que le processus d’offre et d’acceptation d’une offre de contracter puisse se réaliser par voie électronique.
Procédons cependant encore une fois par exclusion. La loi, et notamment la réforme récente des contrats, exige un formalisme particulier pour les contrats conclus par voie électronique entre un professionnel et un particulier, avec notamment, le principe d’un processus contractuel en quatre étapes et un « double clic ». A moins que les smart contracts traduisent informatiquement l’ensemble des critères énoncés par la loi, l’on peut raisonnablement penser que ces règles de forme excluent la possibilité de contractualiser des contrats entre commerçants et consommateurs sur la blockchain, du moins à ce jour. Restent cependant tous les smart contracts possiblement à conclure entre particuliers ou entre professionnels. Et là, l’analogie est frappante avec ce qui se passe sur la blockchain : un smart contract est un programme écrit par un utilisateur afin de proposer de réaliser une transaction avec d’autres utilisateurs sur la blockchain, que ces derniers doivent accepter pour sceller la transaction. Un smart contract peut donc s’assimiler juridiquement à une offre acceptée et donc, à un contrat. Encore faut-il que les éléments essentiels du contrat proposé soient compris dans les éléments qui ont été programmés et qu’ils puissent être suffisamment précis, clairs et compréhensibles pour être valablement acceptés. Tout dépendra donc des capacités et compétences des parties en présence, notamment au regard de leur compréhension de la blockchain mais également de leur connaissance du langage informatique. Un smart contract sera-t-il intelligible pour tout le monde ? Rien n’est moins sûr. Les smarts contracts s’adressent encore à des gens avertis et de vrais efforts sont encore à faire en termes de vulgarisation pour pouvoir en démocratiser l’usage et par voie de conséquence, leur conformité au droit commun. Mais sous cette réserve d’intelligibilité, tout serait possible …
Les smart contracts peuvent-ils constituer en droit la preuve d’un contrat ?
Un contrat peut être matériellement formé mais l’une ou l’autre des parties, ou les deux, peuvent vouloir contester leur engagement. Un contrat n’existe vraiment que si les deux parties s’y sont obligées et qu’il est possible de le prouver.
La preuve des contrats n’est pas libre : elle est soumise à un certain nombre de règles impératives. Assimilable à un écrit électronique, le smart contract doit en réunir les critères. Les deux premières conditions d’un contrat passé par voie électronique sont l’intelligibilité et l’intégrité. La première suppose que le logiciel utilisé pour établir l’acte numérique ne soit pas frappé d’obsolescence et ne disparaisse pas du marché et que le support sur lequel l’acte est conservé puisse encore être lu et n’ait pas disparu. L’intégrité suppose que l’écrit ne puisse pas être altéré par un tiers et qu’il puisse être intégralement restitué. Cette intégrité découle à la fois du support qui ne doit pas être réinscriptible et du logiciel qui doit interdire la réécriture.Ces garanties semblent offertes par la blockchain, avec un degré de sécurité important, comme nous l’avons vu.
Le troisième critère est l’imputabilité, ce qui suppose que l’auteur de l’acte soit dûment identifié et sa signature soit fiable et certifiée. L’identification d’une partie semble être acquise sur la blockchain. En revanche, y a-t-il signature électronique au sens de la loi ?
En pratique, lors de la création de son compte sur la blockchain, il est attribué à l’utilisateur une clé publique et une clé privée. La clé privé est stockée dans le portefeuille de l’utilisateur. Elle est utilisée pour signer ses transactions sur la blockchain, afin que son identité puisse être prouvée. La clé publique est calculée depuis la clé privée. La relation mathématique entre les deux clés permet de vérifier la signature créée avec la clé privée.
Or, en droit, pour qu’une signature électronique ait force probante, elle doit bénéficier d’une présomption de fiabilité, laquelle résulte de l’usage d’un procédé d’identification établi grâce à un dispositif sécurisé de création de signature électronique et permettant la vérification de cette signature par l’utilisation d’un certificat électronique délivré par un prestataire qualifié.
Ainsi, pour qu’une signature électronique soit réputée fiable, elle doit remplir quatre conditions intrinsèques : elle doit être exclusivement liée au signataire ; elle doit permettre de l’identifier ; elle doit être créée par des moyens que le signataire garde sous son contrôle exclusif et enfin, il doit exister un lien entre la signature et l’acte auquel elle s’attache. Ces conditions semblent être, une nouvelle fois, parfaitement remplies dans la blockchain. La loi exige cependant une dernière condition extrinsèque : la fiabilité nécessite que la signature électronique soit vérifiée à l’aide d’un certificat délivré par un prestataire qualifié et agréé, ce qui n’existe pas sur la blockchain. A défaut et même si la blockchain remplit les conditions de fiabilité exigées par la loi, elle ne pourrait cependant pas bénéficier de la présomption de fiabilité attachée à la signature électronique, faute de la délivrance d’un certificat par un prestataire agréé. En pratique, toute personne pourrait dénier être engagé par un smart contract et si cette contestation est portée devant le juge, il appartiendrait alors à celui-ci de trancher, à défaut de pouvoir se fonder sur une présomption de fiabilité, selon les moyens de preuve qui lui seraient apportées par les parties.
Toutefois, un arrêt récent de la Cour de Cassation, en date du 6 avril 2016, vient ouvrir de nouvelles perspectives. Le cas d’espèce était le suivant : une personne déniait être l’auteur d’une demande d’adhésion sur internet à une assurance complémentaire et refusait de payer la prime y relative au motif que la plateforme de contractualisation en ligne ne recourrait pas à l’utilisation d’un certificat électronique qualifié. La Cour de cassation lui a donné tort, après avoir constaté que le juge avait suffisamment vérifié les conditions intrinsèques de fiabilité de ladite signature. Exit la nécessité de produire un certificat qualifié ! Arrêt de circonstance ou arrêt de principe ? Si une telle position se confirmait, la blockchain offrirait ainsi la garantie d’une signature électronique au sens de la loi.La promesse de la blockchain est de se passer d’intermédiaire. Ce serait d’ailleurs un comble de lui en rajouter un, en la personne d’un prestataire de certificat électronique qualifié …
Fidèle à ce qui fait ce blog (imaginer notre droit de demain), j’appelle de mes voeux une réforme de notre droit de la preuve littérale des contrats vers moins de formalisme pour reconnaître que des dispositifs comme la blockchain suffise, par les garanties intrinsèques qu’elle offre, à faire signature. D’ailleurs, subrepticement et à demi-mot, le gouvernement semble avoir commencé à faire référence à la blockchain dans une récente ordonnance relative aux bons de caisse, en date du 28 avril 2016. Ces derniers peuvent être inscrits dans un registre tenu par l’émetteur mais « l’émission et la cession de minibons peuvent également être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité, définies par décret en Conseil d’Etat ». Tiens, comme tout cela ressemble peu ou prou à une première définition légale de la blockchain …
Est-ce que la blockchain peut révolutionner notre droit contractuel ?
La blockchain nous oblige à une révolution juridique, notamment dans nos processus contractuels ancestraux. Et si notre droit des contrats, à peine réinventé avec une réforme d’envergure qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016, était déjà devenu obsolète … D’emblée, la blockchain ringardise notre nouveau Code civil.
Elle ringardise tout autant notre vieux métier de juriste et nous somme de le réinventer. Le juriste doit adopter une nouvelle expertise, celle du code. Mais la blockchain somme tout autant les codeurs de faire du droit. Coder un smart contract, c’est indubitablement faire un contrat et comme le juriste, c’est envisager à travers l’écriture de fonctions programmées les conditions de réalisation de celui-ci, ne pas en oublier et anticiper les situations, à peine de réaliser des smart contracts « monstrueux » qui s’auto-exécuteraient malgré nous. La blockchain réconcilie les deux métiers. Il était temps ! Et si le juriste devenait un « oracle » au sens où l’entend François Polrot, dans son article cité plus haut, ce tiers de confiance « chargé d’entrer dans la blockchain l’information de façon fiable afin que le contrat puisse s’exécuter correctement ». Les juristes doivent définitivement se saisir de ces nouveaux enjeux technologiques plutôt que d’en être saisis !
Je me suis ici intéressé à la blockchain et au contrat. Le contrat est le plus petit dénominateur commun d’une relation conventionnelle entre les hommes mais la blockchain peut nous aider également à repenser nos organisations humaines et plus encore, à faire société, le plus grand dénominateur conventionnel entre nous. Elle est une promesse pour fonder une nouvelle gouvernance entre des communautés et en particulier, générer les moyens organisationnels entre contributeurs aux communs. Je renvoie ici à mon article de novembre 2015. J’y reviendrai certainement …
Pour finir, il faut entendre la parole de Primavera De Filippi, chercheuse au CERSA et au Berkman Center for Internet & Society de l’Université de Harvard et spécialiste de la blockchain. Dans son intervention à la conférence Big Bang Blockchain du 14 janvier 2016, celle-ci promeut l’idée qu’il faut élaborer un nouveau « code juridique » plutôt que de chercher à adapter continuellement le droit au numérique. Le code est politique. Et la blockchain peut être l’outil qui va accompagner le droit dans ce changement, vers une société plus collaborative que compétitive.
Publié par Jérôme Giusti, avocat