Juin 13, 2020 | Non classé

Droit à l’accès et à la portabilité des données pour les travailleurs de plateformes numériques : l’exemple des chauffeurs VTC.

La loi d’orientation des mobilités (LOM) a explicitement prévu un droit d’accès des travailleurs de plateformes numériques à leurs données à caractère personnel et leur droit à la portabilité. Si, sur le fond, cette nouvelle disposition du Code du travail se contente de reprendre ce qui fonde le Règlement Général de Protection des Données (RGPD), la volonté du législateur d’ancrer dans la loi ce dispositif au bénéfice des travailleurs des plateformes est loin d’être anodine. Ce volontarisme est à mettre en avant à l’heure où l’accès aux données économiques des chauffeurs VTC est une condition essentielle pour la réussite de leurs actions en requalification devant les Conseils de Prudhommes. Cette disposition amène toutefois à s’interroger sur le nombre de rappels que le législateur devra faire pour que les plateformes numériques commencent enfin à appliquer le RGPD …

La LOM a été promulguée le 24 décembre 2019 après plus de deux ans d’assises, d’aller-retours parlementaires, de débats et d’amendements. Elle comporte des dispositions très diverses et s’intéresse notamment à la question des travailleurs de plateformes numériques, au premier rang desquels figurent les chauffeurs VTC et les livreurs de repas.

Lors des débats à l’Assemblée Nationale, un amendement déposé par les députés Aurélien Taché (Val d’Oise, EDS) et Jean-Marc Zulesi (Bouches-du-Rhône, LREM) est venu rappeler le droit d’accès des travailleurs de plateformes numériques à leurs données à caractère personnel et leur droit à la portabilité.Cette disposition est désormais intégrée à l’article L7342-7 du Code du travail. Ce dernier prévoit que les travailleurs de plateformes numériques « bénéficient du droit d’accès à l’ensemble des données concernant leurs activités propres au sein de la plateforme et permettant de les identifier. Ils ont le droit de recevoir ces données dans un format structuré et celui de les transmettre. »

Il est à noter que le périmètre précis de ces données ainsi que leurs modalités d’accès, d’extraction et de transmission doivent encore être définis par décret, la période de confinement n’ayant pas aidé à la mise en œuvre réglementaire de cette disposition. 

Il y a pourtant urgence à le faire, bien que cet article ne fasse que confirmer les obligations des plateformes au regard du RGPD, applicable depuis le 25 mai 2018 et que les plateformes ne peuvent aujourd’hui ignorer. 

En effet, l’accès et la portabilité des données de ces travailleurs est un sujet central pour les nombreux chauffeurs VTC qui ont engagé une procédure en requalification de leur relation de travail en contrat salarié devant les Conseils de Prud’hommes. 

Ces actions s’inscrivent dans la droite ligne de l’arrêt n°374 du 4 mars 2020 (n°19-13.316) de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a reconnu le lien de subordination existant entre un chauffeur VTC et la société Uber et confirmant, par voie de conséquence, la décision de la Cour d’appel de Paris ayant requalifié la relation de travail de ce même chauffeur en contrat de travail. 

La crise sanitaire et le confinement ayant provoqué un effondrement de l’activité dans le secteur du transport de personnes, le mouvement de mobilisation des chauffeurs pour défendre leurs droits devant les Conseils Prud’hommaux devient vital, à l’heure où leur statut factice de travailleurs indépendants les exclut de facto de toute protection sociale.

Ainsi, afin de d’étayer leur dossier et mettre en lumière le lien de subordination qui caractérise leur relation de travail avec la plateforme, les chauffeurs ont besoin d’accéder à l’ensemble de leurs données et notamment, leurs temps de connexion, d’interconnexion et de déconnexion.

A défaut de pouvoir, pour l’heure, s’appuyer sur la nouvelle disposition précitée du Code du travail, issue de la loi LOM, dont les décrets d’application tardent à être pris, les travailleurs de plateformes ont donc à leur disposition le RGPD. Ce dernier fixe les règles du droit d’accès et à la portabilité de leurs données et oblige les plateformes responsables des traitements de données, à transmettre aux chauffeurs concernées leurs données personnelles de « façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples. ».

Pour autant, la réalité diffère puisque, pour les chauffeurs Uber concernés, le processus de demande d’accès à leurs données personnelles s’apparente à un parcours du combattant, labyrinthique et volontairement dissuasif.

Ainsi, et dans le contexte d’une réflexion globale engagée par le Gouvernement sur le statut des travailleurs des plateformes, sous la houlette de la Mission Frouin, il devient urgent pour les plateformes numériques d’appliquer sans tarder le RGPD.

Saisie depuis quelques mois de la problématique par de très nombreux chauffeurs, la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen (LDH) a décidé de ne plus attendre et à confier à notre cabinet le soin de déposer plainte contre Uber devant la Commission nationale Informatique et Libertés, au nom et pour le compte de très nombreux chauffeurs VTC.

Cette plainte a été déposée le 12 juin 2020.

Jérôme GIUSTI

Avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication

Nordine AOUFI

Avocat 

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